Un événement remarquable est venu récemment s’inscrire dans l’histoire naturelle de la Nouvelle-Calédonie : une nouvelle espèce d’oiseau, jusqu’alors considérée comme visiteuse accidentelle, est devenue nicheuse sur le territoire. Cet événement est rare à l’échelle humaine, mais il illustre à merveille la dynamique naturelle qui façonne la biodiversité de notre archipel, encore aujourd’hui un laboratoire vivant de la reconquête des écosystèmes.
Après sa séparation de l’Australie il y a environ 85 millions d’années, la Nouvelle-Calédonie a connu une longue immersion qui y a anéanti toute vie terrestre. La réémergence du Caillou, 20 millions d'années plus tard, a été suivie d’une reconquête lente et progressive par des espèces végétales et animales venues des terres voisines, y créant une biodiversité exceptionnelle. L’arrivée et l’établissement d'une nouvelle espèce s’inscrivent dans cette continuité historique, tout en soulignant l’importance des échanges naturels entre les écosystèmes du Pacifique.
Parmi les oiseaux, la dernière espèce à s’être installée en Nouvelle-Calédonie est la Glaréole Isabelle (Stiltia isabella), un limicole insectivore originaire d’Australie.
Ce petit oiseau élégant se distingue par ses ailes effilées et son vol agile, rappelant celui des hirondelles. Son plumage beige clair lui confère un excellent camouflage sur les sols où elle niche, tandis que son alimentation repose principalement sur des insectes capturés en vol ou à proximité des zones humides.
Considérée comme une espèce accidentelle, la Glaréole Isabelle a été observée pour la première fois en Nouvelle-Calédonie en 2004, à Poum. Aucune autre observation documentée n'a plus été faite de cette espèce avant 2018 sur un champ labouré à Pouembout.
Alors que des individus isolés et mêmes de groupes familiaux comprenant des jeunes volants encore nourris par les parents, ont périodiquement été rapportés en plusieurs localités de la région de Pouembout depuis 2018, ce n'est qu'en fin d'année 2023 que des observations effectuées par des membres de la SCO ont permis de mettre en évidence avec certitude le caractère nicheur de l'espèce.
L'histoire de cette découverte débute avec l'observation inopinée d'une Glaréole isabelle sur une plaine salée d'arrière de mangrove à Pouembout (la localisation du site est volontairement imprécise pour en préserver la quiétude). L'oiseau boitille, l'aile pendante, en s'éloignant en marchant des observateurs, tout en les gardant à l'œil.
Semblant accablé de douleur et blessée, la glaréole s'étend parfois au sol, mais elle progresse toujours, apparemment avec peine, mais assez vivement. Puis tout à coup, ayant pris le large et, à la faveur d'un moment d'inattention des observateurs restés statiques, elle disparait… Puis réapparaît comme par magie à proximité de son point de départ ! Et rejoue la même scène. Plus de doute, il ne s'agit pas d'un oiseau blessé mais d'une parade de diversion, tactique adoptée par de nombreux oiseaux feignant d'avoir une aile ou une patte cassée pour attirer les intrus ou prédateurs et les éloigner de leur nid. Constatant ce comportement, les observateurs s'éloignent rapidement pour ne pas contrarier plus cette glaréole manifestement en cours de nidification.
Quelques semaines plus tard, après de prudentes visites de suivi à distance, la confirmation de nidification vient enfin avec l'observation, à travers longue vue et téléobjectif, de deux poussins juchés sur leurs longues pattes accompagnés de leurs parents. L'observation de ces poussins jusqu'à leur envol atteste du succès de cette nidification calédonienne de la Glaréole isabelle.
L’installation de la Glaréole isabelle en Nouvelle-Calédonie est un signe de l’histoire naturelle qui suit son cours. Cette espèce semble avoir trouvé à Pouembout un bassin favorable, entre plaines côtières et zones agropastorales de champs et pâturages, où s'établir. Cependant, cette région n'est malheureusement pas dépourvue de risques pour une espèce affectionnant les prairies et nichant au sol comme la Glaréole isabelle. Feux, divagations anarchiques de chiens, présence de chats, prédation par les rats, ... sont autant de menaces mortelles. Espérons que la Glaréole isabelle saura trouver des espaces relativement épargnés qui lui permettront de prospérer pour notre plus grand plaisir.
Retrouvez plus d'informations sur la Glaréole isabelle en page 172 de notre Guide expert des oiseaux de Nouvelle-Calédonie (disponible sur notre boutique en ligne).
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